Apparaissons-nous aujourd’hui comme des guides spirituels ?
Au milieu du mois de mai, la presse locale se faisait l’écho d’un prix national obtenu par le Chiva (Centre Hospitalier Intercommunal des Vallées de l’Ariège). Cette récompense était obtenue en raison d’un projet de formation à la « méditation de pleine conscience. »
En poursuivant la lecture de cet article, on nous indique que des membres du personnel, adeptes de cette pratique qui cultive l’attachement au moment présent, se disaient qu’ils pourraient aider leurs collègues, soumis à de sérieux risques psychosociaux, en cette période de fortes tensions. Ils ont donc présenté un projet de formation à la méditation, qui a reçu un très bon accueil de la direction.
Dans le même temps je recevais des témoignages de personnes confinées seules, tentant de faire face à tout ce qui remontait des profondeurs et en s’appuyant sur des réflexions en ligne (tutoriels et vidéos You Tube) de Christophe André ou bien Cédric Michel. Certains encore allaient chercher de l’aide sur l’application « Petit Bambou » (« Serein et calme, avec l’esprit clair ») qui a plus de 5 millions d’utilisateurs en France.
Ce phénomène contemporain, ce « signe des temps » dirons-nous, devrait pouvoir nous interroger. Pourquoi, ceux et celles qui nous entourent, quand ils sont en quête de paix, ne se tournent-ils pas facilement et spontanément vers ceux qui sont les disciples de Jésus ? Ce Jésus qui, apparaissant après sa Résurrection, commence toujours par cette adresse : « La paix soit avec vous ». Comment avons-nous pu, à ce point, perdre notre crédibilité en la matière, alors que nous avons une tradition spirituelle si riche ?
Certes, la spiritualité chrétienne n’est pas faite d’abord de techniques, ou d’exercices, destinés à aider les personnes à se recentrer sur elles-mêmes et sur leur « essentiel ». Elle est d’abord le fruit d’une rencontre intime et bouleversante avec le Ressuscité. Mais si cette rencontre est réelle, elle est aussi « performative ». Elle produit, en conséquence, des effets de sérénité, d’unification, de réconciliation, et finalement de paix. Sommes-nous suffisamment des témoins vivants de cette transformation opérée par la rencontre avec Jésus ? N’accordons-nous pas trop de place au culte, au dogme, à la morale, sans témoigner par nos vies et proposer, d’abord et principalement, un chemin de vie dans l’Esprit ?
Si nous n’étions qu’UN avec le Christ, notre relation aux autres deviendrait alors celle du Christ lui-même auquel nous sommes conformés. Nous serions si imprégnés de Lui que notre présence même serait une annonce de paix : « La Paix soit avec vous ! ». On viendrait peut-être alors frapper à notre porte en nous disant : « Pourriez-vous nous indiquer le chemin de cette paix dont vous semblez porteurs ? »
Durant cette période très particulière du confinement, les contributions de certains observateurs ont « crevé l’écran », ou, dirions-nous plutôt aujourd’hui, « fait le buzz sur les réseaux sociaux ». Parmi eux se trouve un prêtre tchèque professeur de philosophie et de sociologie : le Père Tomas Halik. Dans un entretien donné ces derniers jours à la Croix Hebdo, il s’exprime ainsi :
« (l’Église doit)… offrir à tous un accompagnement spirituel. Si elle veut rester Église et non se replier sur elle-même comme une secte, elle doit subir un changement radical de sa perception d’elle-même et de son ministère dans ce monde… prendre au sérieux la culture contemporaine… développer une culture de la contemplation, qui ne soit pas déconnectée de l’action : les gens en ont soif et quand ils ne la trouvent pas dans l’Église catholique, ils vont la chercher ailleurs, dans les religions orientales, le yoga, etc. … La pandémie a suscité des questions spirituelles autant chez les croyants, confrontés à ce grand mal, que chez les soi-disant non croyants, amenés à s’interroger sur le sens de la vie. Les Églises ne devraient pas se demander d’abord comment réintégrer ces personnes… mais plutôt penser au type de responsabilité qu’elles peuvent exercer envers elles… Je crois à la « résurrection » du christianisme dans l’avenir… Cela dépendra de la mesure avec laquelle l’Église sera capable de communiquer avec ces chercheurs de sens. »
Ces « chercheurs de sens » ne manquent pas sur notre territoire. Nous pourrions même dire que la plupart des nouveaux venus sont de ceux-là. Serons-nous capables de leur proposer des chemins de vie spirituelle, susceptibles de favoriser pour eux, un jour, la rencontre éblouissante avec le Christ ? Nous formerons nous pour cela, comme certains ont commencé à le faire ?
C’est une question à laquelle il nous faut tenter de répondre ensemble. Qui sait si le CHIVA ne nous demandera pas, un jour, une formation chrétienne (œcuménique ; interreligieuse ; et inter-culturelle) à la pleine conscience…
+ Jean-Marc Eychenne – Évêque de Pamiers Couserans et Mirepoix